« Les chênes qu’on abat… » André Malraux

Sorti en 1971, ce livre relate une des dernières conversations entre De Gaulle et Malraux. Le caractère visionnaire du Général est frappant. Sans oublier la dimension historique et…humoristique ! J’espère que ces citations vous donneront envie de lire cet ouvrage (édition Folio de 1974 pour la numérotation).

De Gaulle

« Il faut savoir si les Français veulent refaire la France, ou se coucher. Je ne la ferai pas sans eux. Mais nous allons rétablir les institutions, rassembler autour de nous ce qui est appelé l’Empire, et rendre à la France sa noblesse et son rang. » (18)

« Je crois que les hommes font les institutions plus que les institutions ne font les hommes. » (28)

« Les gens veulent que l’histoire leur ressemble. Au moins, qu’elle ressemble à leurs rêves. Ils ont quelques fois de grands rêves, heureusement ! » (28)

« Bien. Alors maintenant, Lacheroy, mettez-vous solidement une chose dans la tête : on ne défend pas la France contre De Gaulle. » Exit Lacheroy. (30)

« Au fond, vous savez, mon seul rival international c’est Tintin ! Nous sommes les petits qui ne se laissent pas avoir par les grands. On ne s’en aperçoit pas, à cause de ma taille. » (37)

« Ma relation avec la mort est loin d’être claire. Quand les Allemands m’ont collé au mur à Gramat, je ne croyais pas à mon exécution. Mais à l’attaque des Hauts de la Parère (…), les obus de mortiers arrivent, avec leur miaulement qui a l’air de vous chercher. Nous nous couchons, et je continue à raconter des blagues. Un éclat coupe en deux mon ceinturon. (Quand on est couché, ça veut dire : il ne s’en est pas fallu de beaucoup.) Là-dessus, je me tais. Pourquoi ? Peut être parce qu’on ne parle pas à la mort… » (44-45)

« Demandez au chat ! (si De Gaulle sait ‘ne rien faire’) Nous faisons des réussites et des promenades ensemble. Personne ne s’impose aisément une discipline d’oisiveté, mais c’est indispensable. La vie n’est pas le travail : travailler sans cesse rend fou. Souvenez-vous en. Vouloir le faire est mauvais signe. Ceux de vos collaborateurs qui ne pouvaient se séparer du travail n’étaient aucunement les meilleurs. » (46)

« Depuis que la lâcheté a proclamé la honte sous prétexte d’éviter la souffrance… Ces réalistes qui ignorent la réalité… Vichy qui tient les mains de la France pendant que l’ennemi l’égorge… Les bâches que l’ennemi et les traîtres jettent sur nos morts… La bouche des ceux qui prétendaient gouverner notre pays ne s’ouvre que pour lui ordonner de se rouler dans la boue… » (56-57)

« Il me dit en voyant arriver pour une réception à l’Elysée Brigitte Bardot, vêtue d’un pyjama à brandebourgs : ‘Veine : un soldat !’ et, à elle : ‘Quelle chance, Madame ! Vous êtes en uniforme et je suis en civil !’ Aussi, le jour ou il serrait des mains dans la foule sans avoir mis ses lunettes : ‘Bonjour monsieur le curé !
– Mon général, je suis un des gorilles.
– Alors bonjours, monsieur le gorille !’
Et, plus amèrement, à un idiot qui disait devant lui : ‘On a exagéré les conditions de détention à Ravensbrück.
– Monsieur, les résistantes étaient si bien dans les camps d’extermination qu’elles y sont presque toutes restées.’ » (64-65)

En répondant à René Cassin qui lui demandait à Londres : « En tant que juriste, dois-je considérer que nous sommes une Légion étrangère, ou l’armée française ?
– Nous sommes la France. » (70)

« L’ambition individuelle est une passion enfantine. » (73)

« – Qu’est ce que le peuple, mon général ?
– La France. » (75)

« Le courage consiste toujours à ne pas tenir compte du danger. » (90)

« Quand j’ai vu les politiciens rassemblés pour la première fois, j’ai senti aussitôt, sans erreur possible, leur hostilité à tous. Ils n’ont aucunement cru à ma dictature ; mais ils ont compris que je représentais l’Etat. C’était la même chose ; l’Etat est le diable, parce que s’il existe, eux n’existent plus. Ils perdent ce à quoi ils tiennent avant tout, et ce qui n’est point l’argent, mais l’exercice de leur vanité. Ils l’ont tous en abomination ! » (96)

« On ne peut rien fonder de durable sur le mensonge. C’est un fait troublant et certain. » (107)

« Avec les autres, vous connaissez le disque : nous mettons la France trop haut ! Comme s’ils ne savaient pas ce qu’il y a de lâcheté dans la modestie ! » (110)

« Pompidou pensait qu’il faut toujours faire déjeuner les gens ensemble. Avait-il tort ? J’ai invité Adenauer, que je connaissais guère : vous faites manger le même gigot à des gens qui se détestent parce qu’ils ne se connaissent pas, ça les transforme en moutons. » (112)

« Avant cent ans, ce que nous avons appelé la droite et la gauche aura rejoint les chimères, sera à peine intelligible. » (112)

« Mais j’ai voulu ressusciter la France ; dans une certaine mesure, je l’ai fait. Quand aux détails, Dieu reconnaitra les siens. Il expliquera, le pauvre ; pourquoi les gauchistes s’appellent gauchistes afin de se distinguer des communistes ; et s’appellent ainsi depuis que la gauche n’existe plus. Il a l’habitude. » (113)

Sur Mai 68 : « Un apiculteur, ici, dit Mme de Gaulle, affirme qu’en Mai, dans toute la France les abeilles étaient enragées, aussi. » (131)

« Le Général descend dans la petite salle du Kremlin. Film patriotique, avec les soldats allemands qui tombent en gros plan l’un après l’autre. A chaque mort, la main de Staline se crispe sur la cuisse du Général. ‘Quand j’ai jugé qu’il m’avait fait assez de bleus, j’ai retiré ma jambe.’ » (135)

« (Les politiciens) rassemblent des terres, en attendant de les perdre, et ils défendent des intérêts, en attendant de les trahir. » (144)

« L’Europe dont les nations se haïssaient avait plus de réalité que celle d’aujourd’hui. Oui, oui ! Il ne s’agit plus de savoir si la France fera l’Europe, il s’agit de comprendre qu’elle est menacée de mort par la mort de l’Europe. » (146)

« Nous arrivons à la porte. Le Général nous tend la main et regarde les premières étoiles, dans un grand trou de ciel, à gauche des nuages :
– ‘Elles me confirment l’insignifiance des choses.’ » (147)

« Les journaux montrent trop ce que les résistants ont dit, trop peu comment ils se sont battus et comment ils sont morts. Il n’y avait plus personne, sauf eux, pour continuer la guerre commencée en 1914. » (150)

Malraux

« Il appelle Français ceux qui veulent que la France ne meure pas. » (21)

« Dans la guerre et dans la paix, la France est l’enjeu. A plusieurs reprises, il l’a faite contre la majorité des Français. Il en éprouve une amère et secrète fierté. » (29)

« L’idée de grandeur du Général est inséparable de l’austérité (…) inséparable de l’indépendance, et d’un âpre refus du théâtre. » (32)

« Le shah m’a confié : ‘Quand je l’ai rencontré (de Gaulle) pour la première fois à Téhéran, j’étais un jeune homme. Je lui ai demandé conseil. Il m’a répondu : ‘Monseigneur, on vous suggéra bien des habilités. Ne les acceptez jamais ! Je n’ai qu’une suggestion à vous faire, mais elle compte : mettez toute votre énergie à rester indépendant.‘ » (32-33)

« Je me souviens de nouveau d’Einstein, le violon sous le bras : ‘Le mot progrès n’aura aucun sens, si longtemps qu’il y aura des enfants malheureux.’ Ce que Dostoïevski avait exprimé plus tragiquement : ‘Si le monde permet le supplice d’un enfant innocent par une brute, je rends mon billet.’ » (41)

« La réponse n’appartient-elle pas plutôt aux religions ? S’il faut que la vie ait un sens, c’est sans doute parce que lui seul peut donner un sens à la mort… vous connaissez le phrase d’Einstein : ‘Le plus étonnant est que le monde ait presque certainement un sens’. Mais il ne va pas de soit que le sens du monde soit celui de notre vie… Et si notre civilisation n’est certes pas le première qui nie l’immortalité de l’âme, c’est bien la première pour laquelle l’âme n’ait pas d’importance… » (44)

Malraux : « – Vous vous souvenez des pancartes à Cuba : Kennedy, non Jackie, oui ?
Charles, dit Mme De Gaulle, si nous y étions allés, est-ce qu’il y aurait eu des pancartes : De Gaulle, non, Yvonne, oui ? » (79)

« Avant de parler de la politique intérieure de la France, il fallait poser qu’un gouvernement qui, chez nous, n’assurait pas la défense nationale, ne pouvait avoir qu’une légitimité apparente. » (87)

« Dans le gaullisme, il y a ce qui s’explique, et ce qui ne s’explique pas. Le meilleur titre de livre dont on vous ait fait hommage, c’est tout de même celui de Soustelle : Envers et contre tout. Vous étiez seul le 18 juin, et vous l’êtes aujourd’hui. Peut être fallait il qu’il en fut ainsi…
– J’ai eu tout le monde contre moi chaque fois que j’ai eu raison. J’ai l’habitude. » (90)

Et la conclusion de Malraux, poignante (donc attention « spoiler » ;-))

« Des branches de noyers se tordent sur le ciel éteint. Je pense à mes noyers d’Alsace, leur grande circonférence de noix mortes au pied du tronc – de noix mortes destinées à devenir des graines : la vie sans hommes continue. Nous aurons tenté de faire ce que peut faire l’homme avec ses mains périssables, avec son esprit condamné, en face de la grande race des arbres, plus forte que les cimetières. Le Général de Gaulle mourra t-il ici ? Nous repassons devant la guérite saugrenue qui abrite un gendarme à mitraillette, quittons le parc de la Boisserie funèbre. Maintenant, le dernier grand homme qu’ait hanté la France est seul avec elle : agonie, transfiguration ou chimère. La nuit tombe – la nuit qui ne connaît pas l’Histoire. » (151)

Magnifique, non ?

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