Peut-on encore critiquer la presse ?

Blâmer les médias équivaut à cette prise de risque : s’attirer les foudres en se faisant catégoriser de complotiste ou parano…et pourtant !

La récente élection présidentielle a été, pour moi, l’apothéose d’une certaine « gangrène journalistique ». Oh, c’est que nous avions droit à des sondages différents chaque jour…mettant en avant toujours les mêmes candidats, les « grands » (ce qui est absurde dans une démocratie ou l’égalité doit être de mise). Imaginez une finale aux Jeux Olympiques où seraient uniquement présents les trois meilleurs coureurs mondiaux, ce, alors qu’une dizaine étaient qualifiés… C’est exactement la même chose qui s’est passée. Au passage, un grand merci aux socialistes qui ont baissé l’égalité du temps de parole entre les candidats de 5 à 2 semaines, magnifique message envoyé aux Français. La logique voudrait que chaque prétendant à la présidentielle ait le même temps de parole aussitôt les parrainages validés par le Conseil Constitutionnel… Mais non !

Le débat de fond était aux abonnés absents. J’aurais bien aimé écouter Emmanuel Macron débattre longuement du CETA ou de la hausse de la C.S.G. par exemple. Cette élection a été volée aux Français et, effet pervers, les a encore plus détournés de la vie politique.

Une certaine presse tenue en laisse pour des groupes financiers

Force est de constater que le « quatrième pouvoir » a un sérieux problème d’impartialité et d’indépendance dans notre pays. Certes, il existe une certaine presse émancipée de tout grand groupe financier, comme le Canard Enchaîné. Mais il y a le reste…7 milliardaires possèdent 95 % de la presse française. Serge Dassault, Arnaud Lagardère (« Nicolas [Sarkozy] est mon frère »), Vincent Bolloré, Bernard Arnault (témoin au mariage de ce même président), Martin Bouygues (parrain du fils)…dont les liens avec le pouvoir ne sont plus à prouver.

Quand Nicolas Dupont-Aignan ose dénoncer la pression qu’il subit de la part de Serge Dassault, ce qui aurait dû faire la une de tous les journaux le lendemain n’a été que très rarement évoqué… Pourquoi ?

Une liberté de la presse en recul

Cette année, Reporters sans Frontières a attribué la 39ème place à la France au classement mondial de la liberté de la presse. L’O.N.G. tire la sonnette d’alarme sur la concentration des médias : « Le nombre de ceux qui les détiennent s’amenuise peu à peu, aggravant ainsi leur dépendance aux pouvoirs politiques et économiques. En France notamment, la concentration de la plupart des grands médias n’a jamais été aussi avancée et le risque de conflits d’intérêts aussi grand. […] [Vincent Bolloré] n’a jamais caché son intention de peser sur les contenus éditoriaux des médias propriétés de son groupe Vivendi. »

(c) Jérémie Fabre

Ceci amène à s’interroger sur les conditions des évictions de Jean-Paul Brighelli (soutien de Nicolas Dupont-Aignan) du Point (propriété de François Pinault) pour « incompatibilité politique » et de Natacha Polony d’Europe 1 (propriété d’Arnaud Lagardère). A-t-elle dérangé le pouvoir en place ?

Le coup de pied dans la fourmilière de Pierre Carles

Dans son reportage « Fin de concession » (2010), Pierre Carles, accompagné de son équipe et des proches du journal, critique des médias « Le Plan B », décernent à David Pujadas la « Laisse d’or » et le titre de « Laquais du Siècle », en référence au Club Le Siècle, dont ce dernier est membre…  Ils repeindront son scooter d’une peinture dorée à l’aide de bombes aérosols. La presse dénoncera cette action sans, comme bien souvent, creuser plus loin à savoir le pourquoi de cette action.

Qu’est-ce que ce fameux club ? Un cercle d’influence où se rencontrent journalistes, politiciens, chefs d’entreprise… Petite sélection : Serge Dassault (tiens tiens toujours le même !), Stéphane Courbit (producteur audiovisuel), Bertrand Eveno (ancien AFP), Denis Kessler (ancien Medef), Thierry Breton (ancien ministre des Finances), Christian Noyer (ancien gouverneur de la Banque de France)…

Au niveau des journalistes : Arlette Chabot, Alain Duhamel (qui a déclaré sur LCI le 19 juin dernier « l’abstention signifie l’inadaptation des Français à la vie politique »…), Michel Field, Franz-Olivier Giesbert, Laurent Joffrin, Serge July, Serge Moati, Bernard Pivot, Patrick Poivre d’Arvor…

Le dernier JT de David Pujadas m’a doucement fait rire. Quels hommages appuyés (on frôlait le mélo-dramatique par moment) pour un journaliste dont l’impartialité et lui font deux ! L’émission « Arrêt Sur Image », jadis diffusée en clair sur France 5 et qui manque cruellement, l’avait démontré.

Rassurez-vous, le Club du Siècle se défend de tout prosélytisme : « C’est bien évidemment en tant que citoyens que Le Siècle a l’honneur de les accueillir. » Mais bien sûr, ils discutent comme ça, sans arrières pensées…en faisant probablement des réussites autour d’une bonne cuvée. Crédible. C’est bien pour cela que les membres restent très discret (pour ne pas dire silencieux) quant à leur adhésion…

Douze ans auparavant Pierre Carles avait réalisé « Pas vu, pas pris ». Son but était de montrer les relations étroites, la complaisance, entre certains journalistes à l’égard des politiques. Un extrait qui donne un fou rire (jaune) :
Anne Sinclair : « La relation privée d’un homme politique avec un patron d’entreprise, fut elle une entreprise de media, ça fait partie de la vie publique… euuuuh de la vie privée. »‎ Précisons qu’elle et son ex-compagnon, Dominique Strauss-Kahn (ancien ministre des Finances et directeur du F.M.I.), étaient membres du Club du Siècle…

L’affaire des emplois fictifs du Modem révélatrice

Corinne Lepage l’avait déjà dénoncé en 2014 à travers son livre « Les mains propres ». Le journaliste Nicolas Grégoire s’est démené, tant bien que mal, pour alerter les médias et l’opinion publique qui ne s’intéresseront à l’affaire qu’après l’élection présidentielle… Pourquoi ?

Le syndicat des journalistes SNJ-CGT a écrit un communiqué destiné à l’Agence France Presse qui aurait étouffé l’affaire Ferrand et Bayrou, jugeant leurs intérêts « trop limités »… Financée indirectement par l’Etat via la souscription à des abonnements (120 millions d’euros en 2013, soit 40 % du budget annuel), on peut se demander s’il n’y a pas un lien. Mais encore une fois,  leur charte est rassurante puisqu’on peut y lire que l’A.F.P. diffuse « une information exacte, impartiale et digne de confiance ». Ouf !

L’argent est partout…même au sein du quatrième pouvoir qui peut s’avérer être un véritable nid de vipères où l’intégrité journalistique n’est pas forcément au rendez-vous.

Les réseaux sociaux, véritables organes alternatifs d’informations, ne se seraient pas autant développés s’il n’y avait pas cette crise de confiance envers les médias traditionnels. Le problème reste qu’on y trouve à boire et à manger et que les internautes ne vérifient pas forcément ce qu’ils diffusent… Paresse intellectuelle ? L’injonction à l’immédiateté est-elle trop forte ?

L’esprit critique demeure essentiel pour se forger une opinion la plus objective possible. L’acquérir demande un effort intellectuel et une réelle curiosité. Ce qui n’est guère encouragé par beaucoup de journaux qui nivellent par le bas via leur « prêt-à-penser »

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