Les abeilles de la résistance

Jean Paulhan, Cahiers de la Libération, n°3, février 1944, « L’abeille » :

Je sais qu’il y en a qui disent : ils sont morts pour peu de choses. Un simple renseignement (pas toujours très précis) ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin (parfois mal composé). A ceux-là, il faut répondre : « C’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement de doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de choses, dis-tu. Oui, c’est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles. »

Prison militaire construite en 1921 (les désertions de la première guerre avaient, semble t-il, marqué les esprits), Monlutc est désaffectée en 1932, faute d’utilisation. Elle réouvre en 1939 à cause de la loi sur l’État de Siège. Toute personne portant atteinte à la sûreté de l’État est désormais susceptible d’être internée (les communistes et plus généralement les opposants au régime de Vichy).

Initialement prévue pour 150 hommes, Montluc accueillera jusqu’à 400 détenus en 1941. Klaus Barbie réquisitionne les lieux en février 1943 afin d’y envoyer prisonniers de la Gestapo, détenus de droit commun, personnes d’origines juives et otages bien souvent capturés au gré du hasard. Etape d’un itinéraire menant bien souvent vers la déportation, l’exécution, l’extermination, Montluc voit ses détenus augmenter continuellement : en février 1944 ils sont plus de 1300 à s’entasser à 8 dans des cellules de 4m². De la camaraderie peut néanmoins exister : Marc Bloch (incarcéré) y donna ainsi des cours d’histoire aux autres détenus !

Franck Sequestra captif pendant 6 mois (1941-1942) dessina son quotidien

Les conditions d’hygiène sont déplorables, les soins médicaux inexistants tout comme les points d’eau. Charles Déchelette : « Nous n’avons qu’une seule sortie de dix minutes par jour, le matin vers 9 heures. » André Frossard : « Les punaises pullulaient par milliers.  Il y en avait dans les jointures des lits, des tables, des bancs, dans les paillasses, dans le café, dans nos poches. »

La prison est libérée le 24 août 1944. Alban Grateau : « Ce fut un enthousiasme fou : tout le monde riait, s’embrassait, chantait. »

950 prisonniers ont survécu, 7000 ont péri. Montluc sert par la suite de lieu d’épuration des collaborateurs, des membres de la Gestapo ou encore de partisans de la cause algérienne. Vient ensuite une prison de détenus « civils » qui ferme définitivement 2009.

Les enfants d’Izieu

Montluc sert de lieu de transfert vers le camp de Drancy duquel partent les convois vers les camps d’extermination. 2500 Juifs y ont été internés, dont les tristement célèbres enfants d’Izieu… Réfugiés dans une colonie à Izieu (dans l’Ain), 44 enfants et leurs 7 accompagnateurs vont être déportés sous les ordres de l’officier Klaus Barbie. « Barbie a toujours dit qu’il s’occupait des ennemis de l’armée allemande. Je demande ceci : les enfants, les quarante-quatre enfants, c’était quoi ? C’était des résistants ? C’était des maquisards ? Qu’est-ce qu’ils étaient ? C’était des innocents ? » Sabine Zlatin, directrice de la colonie d’Izieu le 27 mai 1987.
Klaus Barbie est arrêté grâce au couple Klarsfeld en 1983, il est incarcéré symboliquement à Montluc avant d’intégrer une prison plus sécurisée. 

Alfried Schotker : « Si nous passions par une rude épreuve, les Juifs gravissaient un calvaire sans nom. » Enfermés à part dans la « baraque aux Juifs », inutile de vous dire que leurs conditions de détention sont plus dures, les humiliations étant monnaies courantes.

Un certain Max

Préfet d’Eure-et-Loir en 1940, Jean Moulin s’oppose à l’armée allemande qui le contraint à signer une note accusant à tort des tirailleurs sénégalais. Il est alors révoqué de ses fonctions et…entre en résistance. Il rencontre De Gaulle en octobre 1941 à Londres et se voit charger de l’unification de tous les mouvements de la résistance intérieure qui se concrétise par la création, en mai 1943, du Conseil National de la Résistance. Arrêté en même temps que sept autres résistants, dont Raymond Aubrac, il est incarcéré à Montluc le 21 juin. Dans un premier temps, son identité n’est pas connue mais un des résistants arrêtés avec lui parle sous la torture… Désormais seul dans une cellule, il est durement interrogé dans les locaux proches de la Gestapo.

Il décède lors de son transfert en Allemagne le 8 juillet 1943.

Une photographie plus réjouissante pour finir cet article, elle en rappelle une autre de Willy Ronis, « Le petit Parisien » (1952) :

La prison de Montluc
4 rue Jeanne Hachette, 69003 Lyon
04 78 53 60 41
L’association des rescapés de Montluc

Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation
Mercredi au dimanche 10h-18h
14 avenue Berthelot, 69007 Lyon
04 72 73 99 00

Quelques clichés du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation :

Emile Rougé réalisera plus de 300 clichés de la vie quotidienne des Lyonnais jusqu’à la Libération.

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