La loi de moralisation : l’arbre qui cache la forêt !

François Bayrou présenta ce qui n’était alors qu’un projet de loi le 1er juin dernier. Trois semaines plus tard, il démissionnait suite à sa mise en cause dans une affaire d’emplois fictifs. « Curieux » de constater que ce scandale était bien connu avant sa nomination au poste de Ministre de la Justice…

« Moraliser la vie publique », une initiative louable tant les dérives sont présentes, tout comme le « deux poids deux mesures » dont elles font l’objet. Ce n’est pas Patrick Balkany (la Justice aurait dû le radier à vie de la fonction publique depuis belle lurette) qui dira le contraire :

Cependant un bel emballage ne garantit pas un produit noble… Retour sur cette loi définitivement adoptée le 9 août dernier.

« La montagne a accouché d’une souris », Nicolas Dupont-Aignan

1. Le casier judiciaire vierge n’est pas obligatoire pour les candidats à une élection (il l’est pour les policiers, enseignants, gardiens pénitenciers…). Les élus pourront être inéligibles en cas de crimes ou de manquements à la probité (discrimination, injure, provocation à la haine raciale…). Une promesse d’Emmanuel Macron non tenue, soit-disant à cause d’un « risque d’inconstitutionnalité ». Mais le Conseil Constitutionnel n’a, jusqu’alors, jamais considéré comme inconstitutionnelle une condition d’aptitude. Dans sa décision du 5 octobre 2012, il est écrit qu’exiger « une bonne moralité » des candidats à la magistrature est conforme à la Constitution.

2. N’importe quel lobbyiste peut rencontrer un parlementaire, plusieurs fois, et lui faire des cadeaux, cela est prévu dans les codes de déontologie des deux Assemblées. Seule contrainte : ils ne doivent pas dépasser les 150 euros. Système opaque où l’on ne sait pas si un groupe d’intérêt se cache derrière un projet de loi. Jean Lassalle : « Si on me dit qu’il y a des lobbies qui se font entendre plus que d’autres, je n’en serais pas étonné… Les seuls lobbies qui me seraient favorables seraient ceux nous menant à une reconstruction de notre territoire avec des agriculteurs, des artisans, des commerçants… pas ceux qui sont porteurs d’une directive européenne ! » L’inexpérience des députés LREM n’augure rien de bon. Martial You (RTL) : « Ces nouveaux-venus sont regardés avec beaucoup d’attention par les cabinets de lobbying qui sont en train de chercher à repérer ceux qui pourront servir leurs intérêts. Cela fait plusieurs semaines que les défenseurs des armes, des laboratoires, du tabac ont commencé à éplucher les CV des candidats LREM aux législatives. Ils regardent leurs comptes Facebook et cherchent à savoir qui est proche de leurs idées. » Seul point positif, les lobbies ne pourront plus rémunérer les collaborateurs parlementaires qui auront désormais un statut.

3. Le « verrou de Bercy » est toujours en place : le Ministre du Budget décide seul si certains fraudeurs à l’impôt doivent être poursuivis… ou pas ! La mise en examen devrait être automatique et non laissée au libre arbitre du Ministre, le conflit d’intérêt n’étant jamais loin. La Ministre de la Justice, Nicole Belloubet : « [cette loi] un grand acte de confiance ! » C’est surtout une occasion ratée de lutter contre l’évasion fiscale, estimée entre 60 et 80 milliards d’euros !

4. Le vote blanc n’est, toujours, pas pris en compte dans les suffrages exprimés, alors que l’électeur se déplace jusqu’au bureau de vote… pour « s’exprimer » sur un choix considéré comme impossible. Cela permet de trafiquer les résultats des élections en donnant, par exemple, une majorité des suffrages à un candidat, qu’il n’aurait pas obtenue si les votes blancs étaient comptabilisés :

F. Hollande : 48,63% au lieu de 53,1% – N. Sarkozy : 45,55% au lieu de 48,36% – Votes Blancs ou Nuls : 5,82% au lieu de 0%

La reconnaissance du vote blanc permettrait, probablement, la diminution de l’abstention qui ne cesse de gagner du terrain à chaque élection. Pourquoi ne pas annuler un scrutin si les votes blancs représentent 50% des inscrits ? L’oligarchie au pouvoir y verrait-elle une menace ? Apparemment oui. Rassurez-vous, Paula Forteza (LREM) qualifie cette loi  « d’étape cruciale du renouveau démocratique »… les personnes ayant voté blanc apprécieront.

5. Fin des réserves parlementaires et ministérielles pour éviter « certaines dérives clientélistes ». Les députés pouvaient s’en servir en cas de dernier recours, lorsque les subventions de l’Etat n’étaient plus présentes, par exemple : soutien aux collectivités, aux associations… N’aurait-il pas été plus utile de simplement contrôler ces dépenses ? Comme il est désormais demandé aux parlementaires de fournir des notes de frais, suite à la suppression de l’Indemnité représentative de frais de mandat (IRFM)…

6. Les candidats de l’élection présidentielle devront fournir une déclaration d’intérêts et d’activités (en plus de la déclaration de patrimoine). Là aussi, les falsifications sont possibles : mettre sur le compte du conjoint, par exemple. Il y aura une vérification de la situation fiscale des parlementaires en début de mandat, un manquement pourra entraîner une démission d’office et/ou une peine d’inéligibilité.

7. Le pantouflage public/privé n’a pas été traité alors qu’il pose des problèmes éthiques et déontologiques évidents ! Emmanuel Macron était ministre de l’Économie lors de la vente d’Alstom à General Electrics en novembre 2015… Mais avant d’être le locataire de Bercy, il occupa un poste de banquier d’affaires chez Rothschild, la banque conseil d’Alstom sur ce dossier… Agnès Buzyn, Ministre de la Santé a été rémunérée pendant 14 ans par les laboratoires pharmaceutiques. Une de ses premières mesures est de rendre obligatoires 11 vaccins pour les enfants dès janvier 2018 (3 jusqu’alors).
Il est désormais interdit aux parlementaires d’exercer le contrôle d’une société dont l’activité consiste principalement dans la fourniture de conseils, s’il en a acquis le contrôle dans les douze mois précédant le premier jour du mois de son entrée en fonctions. Le délai est court… François Fillon a créé sa société de conseil, « 2F Conseil » en 2012 : plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires entre 2012 et 2015, cela amène à se poser des questions !

8. Rien sur la connivence des politiques avec les médias détenus par des grands industriels. Ce « triangle destructeur » menace notre démocratie en privilégiant toujours les mêmes partis, ceux soutenus par l’argent des copains (banques, industriels…espérant un retour, mais lequel ?). Jean Lassalle a eu le mérite de soulever un point essentiel : « Comment on peut fabriquer des budgets à 30 millions d’euros alors que j’ai dû me contenter de 200.000 euros ? Quels sont les liens entre ces grands groupes financiers et notre presse ? », « Nous sommes en train de baratiner actuellement sur des articles complètement secondaires ! Le statut des attachés parlementaires, la durée des mandats… Est-ce que quelqu’un aurait demandé à Staline combien de temps il allait siéger, est-ce que quelqu’un aurait demandé à De Gaulle s’il avait l’âge requis ou pas pour prendre le pouvoir, est-ce qu’on a demandé à M. Churchill, enfin bref ! La France est un grand pays, qui a une situation tellement prospère, tellement enviable, avec ses dix millions de pauvres, ses dix millions de chômeurs, que nous pouvons nous permettre de nous lancer dans des harangues magnifiques, alors que nous n’avons pas été fichus, M. le Président, de savoir où commençait le pouvoir de l’argent, celui qui corrompt tout, celui qui achète la télévision, celui qui achète Le Figaro, celui qui achète Libération, celui qui achète L’Express et d’autres ! Nous n’avons pas été capables… [Il est interrompu] Oh, c’est peut-être le plus libre, L’Humanité ! Et Le Canard, vous en avez tous peur et moi aussi ! Bon, cela étant…Mediapart, ce sera pareil ! Cela étant, si on avait commencé par le commencement, que nous reste-t-il comme pouvoir ? Quel rôle jouons-nous encore ? Nous aurions pu, peut-être, nous lancer dans cette moralisation de la vie publique qui, moi, me dé-mo-ra-lise ! »

Rendez-vous manqué !

Cette loi est donc (encore) un pur plan de communication, tant elle ne va pas au bout des choses, de l’essentiel. Le Gouvernement pourra se targuer d’avoir légiféré sur ce sujet, sans toutefois préciser avoir omis les principes essentiels, dénigrant encore une fois les Français. 50 heures de débat, pour « restaurer la confiance » ?

Non, pour la briser encore un peu plus.

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