« Le Général m’a dit… 1966-1970 » Jean d’Escrienne

Encore un ouvrage déniché chez Boulinier… pour deux euros ! J’ai eu l’heureuse surprise de le découvrir dédicacé 🙂

Jean d’Escrienne (1922-2014), dernier aide de camp du Général de Gaulle, rejoindra ce dernier à Londres dès 1940. Il combattra au sein de la Première Division Française Libre, en Egypte, en Libye, en Afrique du Nord et en Italie avant de débarquer en Provence. Le décès du Général lui fera quitter l’armée : « après avoir servi le général, il me semblait impossible d’être sous les ordres d’un autre ».

Comme pour « Les chênes qu’on abat », j’ai sélectionné des passages qui m’ont plu, certains sont longs, je n’ai pas voulu les « raboter » de crainte de dénaturer les propos (édition Plon de 1973 pour la numérotation). Comme l’a écrit De Gaulle, « Dans ce qu’on écrit, il faut toujours soigner la forme. Le fond n’y perd rien ! » (31)

Amère sérénité

« A côté des institutions, il y a les hommes ! … Vous pensez si je les connais ! Ils sont bien pareils : ce sont des ‘arrangeurs’, intelligents certes, rusés parfois, mais qui chercheront avant tout à ne mécontenter personne, à faire plaisir à tout le monde ! Vous pensez si les nostalgiques des jeux parlementaires de la IVème vont en profiter… Il y a pour eux de beaux jours en perspective ! Je ne mets pas en doute la bonne volonté des gens qui sont aux affaires, mais on a fait beaucoup trop de promesses à n’importe qui dans les semaines qui ont suivi mon départ, si bien qu’on est lié maintenant et qu’on ne va pas s’en tirer à si bon compte : vous verrez, sans qu’ils aient fait nullement auparavant amende honorable, que nos adversaires acharnés d’hier vont s’efforcer de devenir les ‘petits copains‘ du Pouvoir… On finira un jour bras dessus, bras dessous, par se congratuler à qui mieux mieux ! … Et puis, comme ces gens-là font la politique de l’étranger, l’Angleterre, avec sa suite, ne manquera pas d’envahir, pour le transformer, le Marché Commun, quand elle voudra, comme elle voudra !
Voilà pourquoi je ne veux pas que quiconque puisse penser que, des coulisses, je tire les ficelles. Pour l’image que de Gaulle doit laisser de lui-même, il ne doit pas être mêlé à ce qui va se passer, ni à la ‘mise en jachère’ de la France.
J’ajoute que, même sans rechercher le pire, il ne le faut pas non plus pour ceux qui détiennent les charges du Pouvoir : je ne pourrais que les gêner… Et puis, il faut leur laisser leurs chances, aussi faibles que soient celles-ci, et même précisément parce qu’elles le sont ! Après tout, si la mer est calme, si n’éclate pas la tempête, ils peuvent naviguer un temps ! Mais la France n’en est pas moins au creux de la vague et, surtout, en cas de crise grave, elle n’a plus de recours ! » (45-46)

« Si j’avais voulu mettre fin à mon mandat, je n’avais pas besoin du référendum pour trouver un prétexte, mon âge, par exemple, pouvait suffire ! J’ai fait ce référendum parce que je croyais (et je crois encore) qu’il fallait le faire, mais en envisageant, c’est vrai, toutes les conséquences qui pouvaient en résulter, y compris mon départ. Je ne le souhaitais pas pour autant. […] Mais, enfin, je me suis pourtant expliqué en bon français à plusieurs reprises, et notamment à la télévision dans l’interview que j’ai accordée à Michel Droit ! Ce référendum, je vous répète que j’ai estimé que je devais le faire, parce que je proposais au pays une réforme d’une ampleur sans précédent qui exigeait une approbation solennelle, dont la légalité ne pourrait jamais être contestée.
En même temps, ce référendum, qui a toujours été pour moi un moyen de gouvernement, j’en avais besoin pour continuer ma tâche, c’était une question de confiance et la seule façon, la plus sûre, de supprimer toute ‘bavure’ et de couper court aux critiques, d’éviter toute ‘remise en cause’, cette réforme, c’était en somme vraiment une ‘très grosse chose’ que je voulais entreprendre, et pour la réussir, j’avais besoin de me savoir suivi ; je ne pouvais pas réussir sans cela. » (47-48)

« Il n’y a que dans l’effort, dans la poursuite d’une grande tâche, que les Français sont un vrai peuple. Bien sûr, il n’y a jamais qu’une élite qui participe vraiment à l’effort et à la tâche, mais cette élite suffit à compenser les dispersions de la masse et rallie d’ailleurs tout le monde à elle dès qu’apparaît le succès !
Au lieu de cela, chacun va donc maintenant faire chauffer sa petite soupe, sur son petit feu, dans sa petite marmite, et dans son petit coin, en s’imaginant vivre des jours tranquilles. Eh bien soit ! Mais que cela se fasse donc en dehors de moi ! »
(51)

« Juillet 1969, à Colombey. Nous avons vu le courrier ensemble, le Général et moi, et bavardons à bâtons rompus avant l’heure du déjeuner… Soudain, il saisit un journal, le Monde, je crois, qui traîne sur un meuble ; le feuilletant, il lit à haute voix quelques titres : ‘Paul VI en Afrique… Nixon en voyage… les Américains sur la lune…’, il me prend à témoin :
– Vous voyez, on ne parle plus de la France, me dit-il, sans doute parce qu’elle ne fait pas parler d’elle ! Malheureusement de devenir une habitude ! … Il faut savoir s’imposer, or, vous avez bien vu, aussi, comment les choses se sont passées. »
(51)

L’écrivain au travail

« Au cours de cette période (1969-1970), j’ai eu souvent l’occasion de constater quelle mémoire extraordinaire conservait le Général : je l’ai vu compléter de lui-même, parfois rectifier, des textes où s’étaient glissées une omission ou une erreur de détail. En juillet 1969, il me remit une liste manuscrite d’une vingtaine de personnalités qui l’avaient accompagné de son voyage en Afrique Noire et à Madagascar au cours de l’été 1958, onze ans plus tôt, et me demanda de vérifier titres et fonctions de chacune de ces personnalités : je pus constater qu’il n’y avait pas une seule erreur ! Pas une seule omission ! » (56)

« Vous savez bien, me dit-il un jour, tout le travail que représente pour moi la rédaction définitive d’un texte ; vous avez souvent vu mes brouillons et constaté combien de fois ‘je remettais sur le métier’ mon ouvrage avant d’en arriver à la forme définitive. Cette question de forme a, pour moi, une importance considérable, par considération pour mes lecteurs, et puis, aussi, parce que je tiens à ma réputation d’écrivain. Quant au fond, je préfère qu’on vérifie chaque chose plutôt deux fois qu’une : comme dans mes Mémoires de Guerre, je ne veux pas qu’on puisse contester les faits que je cite. Dans mes Mémoires de Guerre, on ne les a pas contestés ; on a pu ne pas être d’accord, et on n’a pas toujours été d’accord, en effet, sur l’interprétation personnelle que je leur ai donnée, sur les considérations qu’ils m’ont inspirées, sur les conclusions que j’en ai tirées (et cela est bien normal), mais on n’a pas contesté les faits en eux-mêmes. Dans ce que j’écris maintenant, je veux qu’il en soit de même : c’est, pour moi, très important. » (56-57)

« Dans ce premier tome, j’ai voulu montrer, avant toute autre chose, que j’ai eu ‘une’ politique, que j’ai fait ‘une’ politique : celle de la France. Je voudrais qu’on comprenne cela ! Avant, et pendant des années, on avait fait, en France, de la politique, ou souvent la politique des autres ! Parce que le ‘parti de l’étranger’, qui ne fut pas toujours le même, sous deux républiques, avait ses adeptes, ou ses complices, jusqu’aux plus hauts échelons de ce qu’on appelait l’Etat. Je voudrais donc être sûr qu’en me lisant, on saisisse bien qu’en 1958, les choses ont changé, et que la France, alors, n’a plus eu et fait qu’une politique : la sienne ! Elle avait fait celle des Anglais, sous la IIIème République, à l’époque où, après la Première Guerre mondiale, Paris ne prenait jamais une décision importante sans consulter Londres… Elle avait fait celle des Américains, sous la IVème, soucieuse de s’aligner en tout et toujours sur eux ! Evidemment, du moment que j’étais là, je ne pouvais admettre ça. Les intérêts de la France ne sont pas forcément, toujours, ceux de ses alliés ou partenaires. C’est pourquoi il est normal que chacun ait et fasse sa politique, nous, comme eux… Mais, en ce qui nous concerne, comme tout le monde en avait perdu l’habitude, on a été surpris et il y a eu des cris ! Et c’est en France qu’on a crié le plus fort ! » (59-60)

« C’est-à-dire que c’est une façon élégante de se débarrasser de la France ! Je ne suis pas ennemi, remarquez, et je l’ai prouvé, des rencontres entre voisins, des réunions de travail, des études en commun de problèmes communs…mais, avant 1958, on avait tout de même trop pris l’habitude de s’en remettre aux autres de la ‘décision’ et de s’incliner devant tout ce qu’ils disaient ; même quand il s’agissait de questions ‘nationales’ qui nous concernaient exclusivement, nous nous effacions ! J’ai bien peur, maintenant, que nous recourions à nouveau à cette solution de facilité : nous effacer et laisser d’autres décider à notre place de notre destin ! » (60-61)

Quelques personnalités

Churchill : « C’est insensé, vous vous prenez pour la France ! »
De Gaulle : « Et si je ne suis pas la France, pourquoi discutez-vous avec moi ? » (66)

« Oui, parce que j’ai dénoncé le scandale du dollar, après celui du Viêt-Nam, tous les milieux ‘bien-pensants’ français se sont voilé la face en s’écriant : ‘Il déteste les Américains, il se venge de Roosevelt, de Yalta’, ou encore : ‘Il ne se souvient pas de ce que les Américains ont fait pour nous !’ Comme s’il pouvait y avoir le moindre lien entre tout cela : ce n’est pas parce que quelqu’un a eu, un jour, une attitude amicale et généreuse à votre égard, ou le contraire, que vous devez obligatoirement vous jeter dans ses bras, ou l’éviter à tout prix, lorsqu’il est atteint de maladie contagieuse. Il vaut mieux lui faire prendre conscience de son mal et lui indiquer un remède ! Car c’est bien là ce que j’ai voulu faire. » (72)

De Gaulle : « En ce qui concerne Staline, il aimait assez donner de lui une image ‘bon enfant’ pour terroriser aussitôt après. ‘Approche, disait-il à son ministre chargé des fabrications d’armement, approche, prends un verre et viens trinquer avec moi… mais si tu ne fabriques pas tous les chars ou tous les avions qu’on t’a demandés, tu seras pendu, comme on fait dans ce pays !’ »
Sargent Shriver : « On riait ? »
De Gaulle : « Oh, non ! » (77)

Le « Québec libre »

« […] Bien des ‘figurants’ du Quai d’Orsay sont atterrés et pas prêts d’en revenir ; même les plus élevés dans la hiérarchie n’ont pas encore pris l’habitude de voir la France agir sans demander l’avis des autres, agir seule, indépendante, selon sa propre conscience à elle. C’est ce qu’elle a fait à Montréal [’Vive le Québec libre !’] » (107)

« [Les réactions étaient] à prévoir, mais évidemment, en France, chez les ‘bons bourgeois’ effrayés de toute audace, orientés, bien entendu, par une presse hostile, par des journalistes ‘indignés’ du fait que de Gaulle ait mis les pieds dans le plat, mais réjouis, au fond, que ça leur ait permis de faire un papier qui sorte de l’ordinaire et leur ait donné l’occasion de me faire la morale au nom de toute sorte de vertus qui leur sont étrangères. Evidemment, l’opinion les écoute et suit… » (108)

« Dans certains cas, dans la vie d’un pays et même si on sait bien qu’on n’aura pas le dessus, il faut savoir prendre les armes, tirer un coup de fusil. Cela est très important, aux yeux de soi-même, aux yeux des autres, et c’est une affirmation de soi, une manifestation qui engage l’avenir. Or, la Tchécoslovaquie, peut-être parce qu’il lui manque et lui a toujours manqué justement la cohésion nationale, a toujours, aux heures graves de son histoire, parlé de résistance, manifesté un désir de résistance ; elle n’a jamais tiré au moment où il aurait fallu ! Elle a peut-être ainsi laissé passer des chances pour son avenir ! … » (118)

Les chênes qu’on abat

André Malraux : « C’est indispensable, quelle que soit la façon de voir ma manière de présenter les faits et les choses. Le Général est vraiment le seul à posséder l’ensemble des données de chaque problème, de chaque situation… Tout autre personnage, témoin de cette époque et de ces faits, et aussi haut placé qu’il ait été, n’aura jamais eu qu’une partie des éléments à sa connaissance ! Il ne peut pas en être autrement : il n’y a qu’à comparer ce qu’a dicté Napoléon lui-même, et, sur les mêmes sujets, ce qu’a pu écrire Bertrand : cela illustre le phénomène… En outre, […] écrire est non seulement le prolongement de l’action menée, mais aussi une action en soi… » (125)

Jean d’Escrienne : « A propos du titre de ce livre, les Chênes qu’on abat, Henri Marque, à RTL, me demanda, en février 1971 : ce que j’en pensais, ‘ je le trouve fort beau, avais-je dit, et particulièrement bien choisi. Il évoque pour moi le dessin de Jacques Faizant, paru dans le Figaro quelques jours après la mort du Général, représentant un grand arbre déraciné sur le tronc duquel une petite Marianne est venue s’accouder et pleurer, le visage enfoui dans ses mains ! Seulement, il y a une différence : l’arbre de Faizant est un arbre déraciné, et ce sont les grands vents, les tempêtes, les ouragans qui déracinent les arbres, tandis que les chênes dont parle André Malraux sont abattus par la main des hommes, avec des scies et à coups de cognée !’ » (130)

L’Europe

« Le fait d’abandonner sa souveraineté, a priori, à une quelconque commission, délégation en ce qui concerne des domaines dans lesquels il saute aux yeux que les intérêts de tous ne sont pas toujours les mêmes, qu’ils seront parfois divergents, voire mêmes opposés, c’est une lamentable solution de facilité pour ceux qui, comme je vous l’ai déjà dit, ne veulent rien d’autre que ‘se débarrasser de la France’. Il est évident, à l’époque où nous vivons, que les Etats doivent admettre des abandons de souveraineté, quand on se trouve en présence justement de certaines affaires communes à régler. Cela est valable lorsqu’il s’agit de problèmes précis et limités… Il ne peut par contre être question de ‘chèques en blanc’, ni de porter atteinte, en quoi que ce soit, lorsque les ‘Grandes Options’ sont en cause, à l’Indépendance nationale ! Or, c’est ce qui se produirait très vite si on laissait faire les ‘ténors’ actuels de l’Europe… » (165-166)

« L’Europe, celle dont on parle, n’est encore qu’un rêve, et les Patries sont des réalités. Et c’est sur des réalités qu’il faut construire si on ne veut pas que l’édifice s’effondre ; en dehors, il n’y a que le rêve de ceux […] qui me reprochent à moi d’être contre l’Europe, de m’opposer à sa construction… Alors que la seule construction européenne qui ait vu le jour jusqu’ici (et qu’il faut défendre, ô combien !), c’est l’Europe verte et que c’est moi qui l’ai faite. Quand à une construction politique quelconque, future, de l’Europe, il me semble encore que ma politique de détente, d’entente puis de coopération est bien la meilleure voie à suivre pour y parvenir un jour… » (166)

« Mais en Europe ! Les Etats ont été enfantés dans la douleur. Même si certains ont évolué ou ont été modifiés, même si le Saint Empire a disparu, même si la Maison d’Autriche n’est plus là, même si la Pologne a connu des éclipses, il n’en est pas moins vrai que chacun a eu et a légué une histoire, des traditions, un patrimoine.
De tout cela, il résulte que même si les nations d’Europe ne sont pas toutes de vieilles nations comme la nôtre, chacune reste attachée à son histoire, ses traditions, est jalouse inconsciemment et instinctivement de tout ce qui lui appartient, chacune tient à ce qu’elle a et manifeste une tendance certaine à se méfier des autres ! A cette perspective de ‘fusionner’, chacune, certes, ressent comme un appel, une espérance de renouveau, mais éprouve aussi comme une sourde angoisse, et une sorte d’appréhension ! C’est, en somme, la crainte inconsciente, inavouée, de se trouver emprisonné dans un ensemble dans lequel il ne serait plus possible de rester soi-même… Or (et ce n’était évidemment pas le cas en Amérique !), il est bien naturel qu’on désire rester soi-même quand on a construit Vézelay, Notre-Dame de Paris, Versailles, quand on a bâti Rome, la vieille Espagne, Cracovie, le Kremlin, quand on a créé, découvert, sauvegardé les trésors artistiques du Louvre, du Prado, du Vatican, sans parler de toutes les richesses littéraires, poétiques, musicales ! Oh je sais bien que tout cela est aussi le patrimoine de l’Europe, mais il n’est pas possible que ce ne soit pas d’abord celui de chaque Nation intéressée. C’est humain, et c’est d’ailleurs heureux, qu’il en soit ainsi… » (171-172)

Jean d’Escrienne : « Et les Français, mon Général ? »
De Gaulle : « Oh, les Français, vous savez, il y a une bonne majorité d’indifférents… que ces problèmes ne touchent guère ; quant aux gens un peu plus importants, aux hommes politiques, à ceux qui font plus ou moins l’opinion, à côté des utopistes et des rêveurs, il y en a qui savent bien que j’ai raison, que l’Europe-Etat, pour avoir une chance d’exister un jour, doit passer d’abord par l’Europe des Etats… seulement, il y a d’une part, chez eux, le désir de se débarrasser de certains problèmes, même si ceux-ci sont purement français… d’autre part, vous savez bien que chaque fois qu’il y a une perspective en vue d’organismes internationaux, ou supranationaux, de commissions, assemblées, bureaux d’étude, ce qui sera le cas de plus en plus avec cette communauté européenne qui s’étendra, il y a des gens qui pensent aux postes qui seront créés, souvent intéressants et avantageux, aux places qu’on leur proposera peut-être d’occuper… Bref, c’est donc pour certains l’attrait d’un ‘bon fromage’ dont on voudrait bien profiter sans trop attendre ! » (175)

Mai 1968

De Gaulle : « En politique, le ridicule ne tue pas plus dans certains cas que la malhonnêteté dans d’autres. Cet homme n’est pas bête, il va donc tirer les leçons de sa maladresse, courber l’échine et laisser passer un certain temps, en attendant une occasion, qui surgira bien un jour, de réapparaître à son avantage… rares seront alors ceux qui se souviendront de son attitude en mai 1968 ! Croyez-moi, ça s’oublie vite : souvenez-vous du pseudo attentat du jardin de l’Observatoire. Ce jour-là, quelles qu’aient pu être ses intentions, François Mitterrand s’est moqué de l’Etat, a tenté d’égarer la Justice (dont il avait été ministre !) et a ainsi sciemment trompé ses électeurs, comme tous les Français. Il aurait même été poursuivi dans d’autres pays, ou sous un autre régime… Eh bien, ça n’a pas empêché je ne sais combien de millions de Français de voter pour lui lorsqu’il s’est présenté contre moi ! … Ça donne à réfléchir… »
Jean d’Escrienne : « Oui, mon Général, au degré de maturité des électeurs ! … »
De Gaulle : « Oh… simplement au fait que les hommes sont des hommes, prêts à suivre ceux qui leur promettent n’importe quoi, mais qui surtout ne leur demandent pas d’effort, ce que je n’ai, bien sûr, jamais fait et ne ferai jamais… parce que c’est une des formes les plus basses et les plus malhonnêtes de démagogie ! … Mais il faut reconnaître que ça réussit pour ‘arriver’. Vous verrez en tout cas que, dans quelques années, on aura oublié le ‘Mitterrand’ de mai 1968, comme on a oublié celui qui escaladait les grilles de l’Observatoire avec la complicité de Pesquet, qui devait tout avouer, par la suite, dans la lettre que vous avez pu lire… » (192-193)

Rétrospectives

« Ce ne sont certes pas les grands journalistes qui agissent ainsi, mais s’il en reste, ceux-ci sont de plus en plus rares… pour presque tous, l’opinion publique est sacro-sainte ; il faut caresser ses instincts les moins nobles, parfois les plus bas et, surtout, ne pas la heurter pour ne pas l’avoir contre soi. En cela, la majorité des journalistes ressemble à la majorité des politiciens. » (214)

« Suivre l’opinion publique, ou même la devancer, mais en prenant garde de ne pas s’écarter de la voie dans laquelle elle est engagée, voilà, me dit-il, le souci constant et presque unique du politicien. Ça lui permet d’ailleurs, habituellement, de durer et même de réussir… selon son point de vue ! » (215)

« Il ajouta encore que cette acceptation des politiciens de devenir et de demeurer de véritables esclaves de l’Opinion était, à son sens, ce qui les différenciait des hommes d’Etat, des vrais hommes d’Etat. Il considérait que l’homme d’Etat digne de ce nom, s’il ne doit ni ignorer ni mépriser l’opinion, a, d’abord, une mission, un devoir à remplir : gouverner, en assurant dans l’indépendance, à l’intérieur et à l’extérieur, la sauvegarde et la défense des intérêts supérieurs de la Nation toute entière, et non pas de tel ou tel individu, ou telle ou telle classe, ou ‘chapelle’. Alors, quand il s’est fixé un objectif en fonction de cela, et qu’il a en main les moyens d’atteindre cet objectif, il ‘déclenche son opération’ sans se soucier de l’opinion publique… ‘sans quoi, il n’est pas un homme d’Etat’.
Mais, vis à-vis de l’opinion publique, qu’il ne doit bien sûr pas méconnaître, et dans l’intérêt même de la réussite de son action, de sa mission, il a le devoir d‘informer et d’expliquer… » (219)

« A l’échelle des pays, c’est plus vrai encore pour la France que pour les autres. Il en est sans doute qui peuvent subsister, durer dans la médiocrité et la grisaille. La France, elle, est en péril de mort chaque fois qu’elle n’a pas une politique à elle qui rassemble des Français pour une grande tâche nationale ! Qu’ils ne soient pas unis dans l’effort – nous l’avons déjà dit souvent – , les voilà aussitôt divisés par des querelles stériles, des palabres inutiles et sans fin… mais, surtout, les voilà prêts à abandonner et abandonnant leurs intérêts à l’étranger, s’en remettant à lui de décider de leur avenir, en un mot, ‘se débarrassant’ de la France ! » (219)

« Vous savez, me répondit le Général, je suis bien conscient que les Américains, qui ont toujours combattu pour la même cause que nous, seront encore cotés chaque fois qu’il faudra défendre nos libertés. Nous serons encore longtemps dans le même camp. Il est pourtant très présomptueux (même si c’est ‘reposant’, comme vous dites) de penser que nos intérêts seront toujours les mêmes que les leurs, les leurs conformes aux nôtres. Et puis, comme vous dites aussi, ce n’est ni digne ni décent pour un peuple libre de s’abandonner, quant à sa défense, au bon vouloir de qui que ce soit, même d’un ami ou allié privilégié. Et c’est pourquoi, en politique militaire, s’est imposée en premier lieu, à moi, la défense nationale, c’est-à-dire que naturellement, en ce domaine, aussitôt s’est posé le problème des armes atomiques. » (220-221)

« Tout est là, voyez-vous : pour rester maître de son propre destin, il ne faut pas reculer devant l’effort ! A côté de l’asservissement ou de l’assujettissement, le 1er prix de l’indépendance n’est jamais trop élevé : on ne s’en aperçoit malheureusement que quand on l’a perdue… et on en arrive très vite alors à la politique du ‘laisser aller, laisser faire’, et finalement à celle du ‘chien crevé au fil de l’eau’ ! » (223-224)

« La France retombe, je le crains, et pour longtemps peut-être. Son drame, c’est cette espèce de prostration à laquelle elle s’abandonne parfois, cette fâcheuse tendance à laisser n’importe qui décider pour elle de ce qui la concerne. Son ambition principale est devenue la tranquillité, la jouissance ; et rien n’est moins conforme cependant à son intérêt, à son destin, à sa vocation… cela aboutit tôt ou tard à la perte de l’indépendance, puis à l’effritement de l’Etat, enfin à la désagrégation de la Nation ! Cette sorte de prédisposition au ‘laisser aller’, ‘laisser faire’ et aux disputes, palabres et divisions internes et stériles n’est pas nouvelle. […] Mais les siècles s’écoulant et le monde devenant plus implacable, nos fâcheuses tendances se sont enracinées davantage et il est chaque jour de plus en plus difficile de faire en sorte que, les Français passionnés par une grande tâche, la France redevienne elle-même. » (224-225)

Confrontations et périls

« Même s’il lui arrive de se trouver un jour tout seul, c’est celui qui se fait le champion de cette indépendance qui détient, qui incarne, la légitimité. » (239)

« Bien sûr, il en faut [des légions d’honneur] ; mais la seule récompense qui vaille, c’est la satisfaction qu’on éprouve lorsqu’on a mené à bien la tâche entreprise, lorsqu’on a fait de son mieux, et bien réussi ce qu’on avait à faire… » (242)

Répondant à Léon Blum en janvier 1947 qui voulait lui attribuer une médaille militaire :
« Il n’est évidemment pas imaginable que l’Etat ni le Gouvernement se décorent jamais eux-mêmes dans la personne de ceux qui les ont personnifiés et dirigés, et pour la manière dont ils l’ont fait. Laissez-moi ajouter que, pour un homme qui s’était donné la charge de conduire la France et l’Union française depuis le désastre et la servitude jusqu’à la victoire et à la liberté, il n’y a pas d’autre récompense acceptable que d’y avoir réussi. » (242)

« L’opposition, quand elle est éclairée, intelligente, soucieuse de l’intérêt national, est une bonne chose. Elle peut être même une nécessité, parce que, sans elle, les responsables du gouvernement, de l’administration, ont les coudées trop franches, risquent trop de succomber à de ‘mauvaises tentations’, ou de laisser les choses tant bien que mal suivre leur cours. L’opposition est alors un stimulant salutaire, mais seulement dans la mesure où elle présente et propose quelque perspective constructive positive.
C’est malheureusement, de nos jours, ce qui fait défaut, en France, à l’opposition, tout comme d’ailleurs au syndicalisme ! L’un et l’autre, et hélas chez nous encore plus qu’ailleurs, au lieu d’une attitude de critique constructive, apportant des suggestions valables et réalistes, semblent n’avoir pour objectif que de saper, détruire, malmener tout ce qui a été fait ou va l’être en dehors d’eux…souvent on ne se soucie même pas de ce qu’il faudra bien mettre à la place de ce qu’on abat…il n’y a que démagogie, intrigues, ‘combines’, luttes de personnes et de partis. L’intérêt général, l’intérêt national sont bien loin des esprits !
Et cependant, quel rôle utile, quelle mission digne de l’Homme et de son combat pourraient et devraient avoir et remplir, une opposition sérieuse tout comme un syndicalisme honnête, si l’un et l’autre étaient capables de s’élever à un niveau moins médiocre, de regarder au-delà des envies et des bassesses quotidiennes, de prendre vraiment conscience de leur rôle d’intérêt national. »
(249-250)

« Les institutions, c’est beaucoup, mais ce n’est pas tout. Il faut qu’elles soient complétées par une certaine qualité des hommes… Or, le grand risque, à présent, c’est que la France ait à sa tête des hommes, certes habiles, intelligents, cultivés et même parfois honnêtes, mais qui ne croient plus assez en elle. Aussi valables qu’ils soient, s’ils sont persuadés, au fond d’eux-mêmes, que la France, dans le monde tel qu’il est, n’est plus capable de tenir une certaine place, de faire entendre une certaine voix et de conserver une certaine emprise sur son Destin, autrement dit si les hommes qui gouvernent la France pensent que les circonstances l’obligent à certains renoncements de souveraineté et d’indépendance, c’en sera bientôt fait de notre indépendance nationale ! Voilà aujourd’hui le danger qui nous menace ! » (258-259)

Jeunesse

« J’avais dit un jour, à Londres, m’adressant à vous, Français Libres, qu’au bout de nos peines il y avait la plus grande gloire du monde, ‘celle des hommes qui n’ont pas cédé’, aujourd’hui, la paix revenue, mais dans un monde qui se cherche encore, cela est toujours vrai ; ne pas céder quand on est sur de ce qu’on veut et de ce qu’on vaut, c’est la seule voie si l’on ne veut pas avoir honte et rougir de soi-même, c’est aussi la seule chance de progrès véritable. » (267)

En guise de conclusion

« Quant aux Français de demain, je ne vois pas pourquoi ils auraient honte du passé de la France, ou le renieraient en quoi que ce soit.
S’ils n’ont pas à rougir de leur pays, s’il leur arrive même parfois d’être fiers, de son Histoire, peut-être quelques jeunes de souviendront-ils, dans l’avenir, qu’en son temps de Gaulle a fait de son mieux, avec ceux qui ont bien voulu le suivre, pour qu’il en soit ainsi. »
(272)

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