Les fans des Stones sans filtre !

Au cours de mes études en sociologie, j’avais rédigé une petite étude d’une trentaine de pages sur les fans des Rolling Stones d’après le documentaire de Philippe Puicouyoul « Vers l’Olympe ». Ce dernier retraçait différents vécus d’admirateurs des pierres qui roulent.

Ayant assisté au concert du groupe le 22 octobre dernier (3h d’attente à l’extérieur et 3h dedans, le privilège de la fosse « or »… pour une bonne place !), j’ai ressorti cette étude que j’ai réadaptée au « format blog ».

Les trajectoires étant multiples, vous pourrez éventuellement vous reconnaître dans certaines de mes analyses… ou pas. La « montée en généralité » est chose ardue et ce n’est pas une modeste étude qui pourrait prétendre le contraire !

Quand la passion « entre en scène »

Le look en anglais désigne l’apparence, le fait de voir ou de regarder, d’examiner quelqu’un avec ses yeux (1)… mais aussi l’aspect extérieur, c’est-à-dire voir et être vu ! Le regard d’autrui est important, plus on plaît, plus ce regard devient miroir de la bonne estime de soi (ou d’une blessure, le cas échéant). Plus on déplaît, plus ce regard d’autrui se convertit en défi ou provocation. L’échange social se réduit alors à un échange de regards plus ou moins envieux, désapprobateur.

La mode est aussi série d’objets qui se manifeste à travers des parures dans lesquelles chacun pioche « son » look. Il peut y avoir une volonté de « ne pas subir le code, mais de la manier, l’adapter, le composer » (2).  Le style vestimentaire est adopté et ressorti lors d’occasions comme les concerts, les expositions, les repas entre amis…

A l’origine, le Rock est l’expression d’une opposition à la société. Paradoxalement, il est, depuis sa naissance, intégré dans une logique de rentabilité soumis aux lois des industries culturelles. En d’autres termes, le Rock est devenu marchandise en s’institutionnalisant. Les produits dérivés sont multiples et sont, pour la majeure partie d’entre eux, acceptés par le public des fans.

L’objet parle pour soi, il témoigne sans ambiguïté de la volonté de faire savoir aux autres ce que l’on aime, mais il peut donner l’impression de parler à la place de celui qui le porte et ainsi, de faire une sorte d’économie d’une conversation. Endosser une identité, c’est souscrire à un idéal : « ce que nous aimerions être et non ce que nous sommes » (3). Un comportement d’affichage presque ostentatoire met à témoin l’entourage de la passion, mais au risque que le passionné se voit enfermé dans cette seule identité.

Les objets sont un lien permanent avec l’idole. Ils donnent l’impression d’avoir une maîtrise sur la star, inaccessible par définition. Ils sont aussi la matérialisation de la musique aimée et adoucissent par exemple la séparation avec l’idole à la fin d’un concert.

L’impact de la vedette

Le paraître du musicien, sa tenue vestimentaire, son physique, son comportement scénique sont indissociables de son style et sont autant de signes révélateurs de sa façon de vivre et de sentir, déchiffrables au loin par les spectateurs. La liberté, la vitalité des chanteurs… flattent l’imagination des fans cherchant un modèle en adoptant un comportement similaire. Personnalité publique et privée ne font qu’une.

Le fan, comme le musicien admiré, se rebelle en affirmant sa différence et son individualité. Edgar Morin, à propos des vêtements de James Dean : « autant de signes ostensibles (ayant la valeur d’insignes politiques) d’une résistance à l’égard des conventions sociales du mondes des adultes, d’une recherche de signes vestimentaires de la visibilité et de la fantaisie. James Dean n’a rien innové, il a canonisé et systématisé un ensemble de règles vestimentaires qui permet à une classe d’âge de s’affirmer, et celle-ci s’affirmera un peu plus tard dans l’imitation du héro ». Le chanteur est le symbole d’une libération aspirée par les fans qui souhaitent, le temps d’en spectacle, y être associés.

« La culture adolescente qui opère sa première cristallisation à partir des films de James Dean, va fixer son bouillon essentiel de culture non plus sur le film mais sur le Rock, la musique, la chanson, la danse » (4). La consommation est aussi tributaire du charisme du chanteur : la communauté des fans se fonde sur l’image et l’identification à une personnalité ressentie comme proche et identique. La star est une figure surhumaine qui parle le langage des consommateurs. Le charisme de l’idole engendre des « relations subjectives à coup sur reposant sur une illusion et une réciprocité. Elles permettent cependant à chaque individu de la foule d’imaginer qu’il se trouve en contact direct avec l’homme qu’il admire » (5). Le Rock est comme un code accessible et transcendant, il agit sur les consciences. L’artiste devient porte-parole, le public adhère et devient partie prenante.

La lumière au service de l’imaginaire

Le jeu de lumière est plus ou moins présent selon le type de salle : plus elle sera grande et renommée, plus il sera présent. Tel un peintre, l’éclairagiste « jette ses couleurs sur une toile (la scène) » pour « peindre avec la lumière ». La lumière, bien qu’élément immatériel, insaisissable, devient une matière concrète qui peut-être déterminante dans la façon d’aborder le spectacle : elle met en avant (ou en retrait) certains musiciens (notamment pendant les solos), accompagne le rythme de la batterie… Le public a l’impression d’être intégré à l’action (par des faisceaux lumineux qui balaient la salle par exemple), d’appartenir au monde de la scène : cela intensifie sa participation en lui faisant partager une émotion supplémentaire. L’éclairage discipline et oriente le regard ! Le public a besoin d’images fortes, aussi bien auditives que visuelles.

L’impact des concerts

La musique reste la principale composante. C’est elle qui conditionne l’état de réception des spectateurs par un effet, à la fois physique et émotionnel, qui se répercute sur le mental. La finalité est aussi de faire danser, ce qui est plus ou moins réalisable selon la configuration de la salle.

Les jeux des lumières introduisent un lien supplémentaire entre la salle et la scène par un jeu de balayage et intensifie l’impact du show grâce à la vitesse des faisceaux lumineux, aux variations de couleurs et d’intensités lumineuses qui se font en concordance avec la musique et les expressions scéniques : la vedette est magnifiée, l’engouement du public est grandi.

Puis au sein des spectateurs, qui peuvent être debout (« dans la fosse », près du groupe…) ou assis. Les spectateurs debout font davantage preuve de collectivisme dans le sens où ils ne forment plus qu’une masse qui se mobilise et ondule au grès du rythme. C’est du moins ce qui se donne à voir de l’extérieur. A un niveau plus individuel, les individus peuvent se sentir divisés : chacun est encore soi ; un œil vers la scène, un œil sur les voisins, la foule est loin.

L’enjeu de domination est permanent entre la foule et la star, même s’il est traduit dans un langage et une conduite d’adhésion. « Le Rock fait monter le spectateur sur scène, faisant de chaque individu un double de la vedette commune » (6). La scène est un puissant dispositif de désignation qui produit l’artiste devant son public, elle le rehausse et le désigne. Elle sait aussi le cacher derrière son rideau : grâce à lui, il se fait attendre. Est oublié le quotidien au profit de l’instant présent.

Perdu dans la foule, l’admirateur prend conscience du déséquilibre de sa relation à la star. Elle est tout pour lui, il n’est rien pour elle. L’expérience identitaire peut sortir malmenée. « Celui qui estime avoir une identité personnelle ne peut se penser comme totalement identique à autrui. Il est autre. La proximité, l’imitation… ne peuvent être totale fusion, sinon il y a perte d’identité » (7). « Ce que je suppose être mon monde intérieur le plus intime se découvre comme ce que j’ai de plus commun avec d’autres » (8). C’est pourquoi l’authenticité de la star peut être mentionnée pour combler ce déséquilibre. La relation de proximité qui faisait défaut sur scène est ainsi presque oubliée.

Vous avez survécu à mon analyse ?

C’est bien 😉


1. New Webster’s Dictionary of the English Language.

2. YOUNNET P., Jeux, modes et masses, la société française et le moderne 1945-1985, Paris, Gallimard, 1985, page 536.
3. FRITH S., Performing rites, on the value of popular music, Oxford University Press, 1996.
4. MORIN E., Les stars, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1972, page 147.
5. MOSCOVICI S., L’âge d’or des foules, Paris, Fayard, 1981, page 384.
6. HENNION A., La passion musicale : une sociologie de la médiation, Métailié, 2007, page 322.
7. MUCCHIELLI A., L’identité, PUF, coll. Que sais-je ?, 1986.
8. LAING cité par DUBA C., La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, Armand Collin, 1991.

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