Résister se conjugue au présent (Lucie Aubrac)

Citations extraites du très bel ouvrage « Résister : Les archives intimes des combattants de l’ombre » disponible dans toutes les bonnes librairies !

Alban Vistel – Héritage spirituel de la résistance

Solitude de ceux d’entre nous qui ne renonçaient pas. Solitude de l’exténuant combat de la Résistance et c’était toujours la solitude de la France.

Mais lorsque tout a été perdu, héritage, patrimoine et tous biens temporels, lorsque l’avenir se ferme sur une stérilité absolue, lorsque l’homme se sait voué à l’esclavage, lorsqu’un délire inhumain l’assaille au cœur de sa dignité, tandis qu’il est dépourvu de tous moyens de combat, que reste-t-il ? Un seul mot, le dernier des mots, la dernière cartouche : Non ! Un Non intransigeant.

La Résistance fut donc une réaction du patriotisme ? Oui, mais dans la mesure où la Patrie, dépouillée, était devenue une spiritualité, dans la mesure, où, entrant en agonie, elle donnait sa révélation suprême, mais surtout, dans la mesure où sa résurrection prochaine annonçait qu’elle serait donnée à tous.

Il n’était plus possible de tricher, car le choix conduisait, dans le meilleur des cas, à une rupture totale avec la forme d’existence vécue jusque-là, et dans le pire, à la prison, à la torture, à, la mort.

C’est alors que des hommes, quelques hommes, sortirent de leur solitude pour aller chercher d’autres hommes, inconnus hier, anonymes, mais rebelles. Ce fut un pèlerinage persévérant, harassant, dans les faubourgs, les usines, les boutiques, les bureaux, les fermes, les universités. Les mains vides, car il n’y avait rien à offrir : ni ambitions, ni places, ni décorations, ni argent, ni vaine gloriole. […] Et de l’homme ainsi rencontré, qu’importait le nom patronymique, qu’importait l’origine sociale, qu’importait l’ancien choix politique, qu’importait le credo intérieur. Derrière les pas, tous les horizons se confondaient en une ligne dépourvue de toute signification tandis que devant s’éclairait l’aube d’une nouvelle journée, dans laquelle seule l’action encore à naître aurait de l’importance, l’action pour le rachat et pour l’honneur.

Jean Texcier – Conseil à l’occupé

Étale une belle indifférence : mais entretiens secrètement la colère. Elle pourra servir.

Tu grognes parce qu’ils t’obligent à être rentré chez toi à 23 heures précises. Innocent, tu n’as pas compris que c’est pour te permettre d’écouter la radio anglaise ?

François Mauriac – Le cahier noir

A quel autre moment de l’histoire les bagnes se sont-ils refermés sur plus d’innocents. A quelle autre époque les enfants furent-ils arrachés à leurs mères, entassés dans des wagons à bestiaux, tels que je les ai vus, par un sombre matin, à la gare d’Austerlitz ? Le bonheur en Europe est devenu un rêve impossible, sauf pour les âmes basses.

Pierre Brossolette – Français 100%, allocution au micro de la BBC, 12 juillet 1943

Aimer la France, c’est abandonner pour elle sa famille, son travail, ses biens : aimer la France, c’est accepter d’être condamné à mort, pour elle, pour ceux qui prétendent la gouverner ; aimer la France, c’est offrir tous les jours sa vie dans la bataille tantôt obscure et tantôt glorieuse qui lui rendra sa liberté, son empire et son Alsace-Lorraine ; aimer la France, c’est tomber en relevant son drapeau mutilé.

Geneviève de Gaulle Anthonioz – Le patriote résistant

Un parachutiste allié tombe dans un champ et se blesse. Que fait le paysan qui se trouve dans le champ ? Il a le choix. Soit il le dénonce, soit il lui porte secours. Il n’hésite pas et entre ainsi dans le cycle. Il appelle son fils pour qu’il l’aide à transporter le blessé chez le médecin – qui, lui aussi, a choisi. Le parachutiste est conduit à l’hôpital. La chaîne continue, la solidarité fonctionne, malgré le danger. Quand l’homme est guéri, on cherche comment le rapatrier en Angleterre. Là, commence l’action de la Résistance dite organisée avec ses filières et ses réseaux. Tous ces gens étaient des êtres humains pour lesquels c’eût été une indignité que de livrer un homme blessé. Ils ont agi à leur manière, ils l’ont fait avec leurs mots. Et ils sont restés anonymes.

Jean Cassou – La mémoire courte

La révolte morale, le fait moral, a été essentiel pour tout Résistant, l’essence de la Résistance. […] La Résistance fut et demeure un fait moral, et le même pour tous les résistants, quel qu’ait pu être le motif subsidiaire de leur choix et de leur décision, et quelle qu’ait pu être la suite où ; ayant repris leur qualité politique, ils se sont engagés. Elle fut et demeure un fait moral d’autant plus qu’elle ne fut strictement que cela et n’eut, elle, la Résistance, aucune suite. Un fait moral, absolu, suspendu, pur. Et sur quoi par conséquent il n’y a pas à revenir.

Claude Aveline – Les devoirs de l’esprit

La Résistance a montré une jeunesse admirable, opiniâtre, enthousiaste, affamée d’une vie libre et digne, et sans cesse résolue, pour que tous y parviennent, à soutenir la mort la plus cruelle, qui est la mort solitaire.

Boris Vildé – Journal et lettres de prison

Il ne faut pas que notre mort soit un prétexte pour une haine contre l’Allemagne. J’avais agi pour la France, mais non contre les Allemands. Ils font leur devoir comme nous avons fait le nôtre. Qu’on rendre justice à notre souvenir après la guerre, cela suffit. D’ailleurs, nos camarades du musée de l’Homme ne nous oublieront pas.

Albert Camus – Le parti de la résistance

Bien entendu, il y a dans tout sacrifice du hasard. Le choix qu’on fait d’une action ne suppose pas toujours une vue claire des conséquences de cette action. Pourtant, la différence est déjà grande entre ceux qui choisissent de se taire. Et parmi ceux qui risquent, entre ceux qui le font jusqu’au bout et d’autres qui renoncent ; et parmi ceux qui vont jusqu’à la consommation, entre les uns qui n’ont aucun motif de vivre et les autres qui, face aux plus hautes raisons de durer, entretiennent jusqu’à la fin la conscience déchirée du bonheur auquel ils renoncent et du devoir qui va les tuer. Ceux-là, et eux seuls, ont su racheter, jour après jour, le déshonneur où nous nous survivons.


Résister, c’est déjà garder son cœur et son cerveau.
Résistance, 15 décembre 1940

Français, il est des temps où il est indigne de ne pas se révolter, il est des époques où la vie sans lutte est un crime […]. Votre joie et votre récompense, votre seul titre de gloire, ce sera de mériter la mort. Cette vision serait-elle pour vous trop abrupte ? Alors Français, c’est que vous n’auriez rien compris.
Défense de la France, 10 avril 1942

Vivre inconnu, souvent isolé, toujours sans gloire, c’est l’honneur qui revient à tous nos militants. Ils n’ont comme ruban, comme galon, comme renommée que le néant.
Les Inconnus, Combat, Janvier 1943

A la Libération, je suis retourné à la Sorbonne pour suivre des cours. Quand j’ai trouvé des profs qui ânonnaient sur le réalisme d’obscurs auteurs sortis de je ne sais trop quoi, quand on pinaillait sur une version grecque ou latine, ça me paraissait bien loin de la réalité. Après tout, le sang, les larmes, je les avais vus. C’était trop dur de s’asseoir sur les bancs de l’école. Je n’ai pas pu revenir.
Je n’ai jamais retrouvé le calme que j’avais avant la guerre […]. Une voiture s’arrête à ma hauteur dans la rue, je suis prêt à bondir. Une personne que je n’attends pas et qui frappe à la porte, pour moi, c’est un sursaut…
Un militant du mouvement Défense de la France

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