Les Teddy Boys: le rôle des bandes de « jeunes » à travers la musique

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Les années 50 incarnent espérance et abondance avec l’avènement du bonheur matériel : la consommation et les loisirs sont mis au premier plan. De nouvelles injonctions arrivent : réussite matérielle, confort, profusion des biens… La jeune génération les adopte rapidement.

Néanmoins les jeunes issus de milieux défavorisés étant dans l’incapacité de se conformer à ces injonctions consommatrices vont devoir trouver un autre moyen pour « exister »…

En 1952 naît le mouvement londonien des Teddy Boys : des banlieusards venant pour la majorité d’entre eux du milieu ouvrier se différencient des milieux aisés londoniens par leurs extravagances vestimentaires : « Chaussures à triple semelle de crêpe, chaussettes de couleurs criardes, pantalons tuyaux de poêle, collant aux fesses, vestons aux pans tombant presque aux genoux et aux épaulettes exagérément rembourrées, aux revers de velours » (1).

Le Rock’n’Roll dépasse alors le style musical, devenant style de vie : on est Rock, on vit Rock. S’il devient par choix une composante de la vie quotidienne, c’est qu’il aide à vivre en répondant à des besoins et  des aspirations secrètes comme l’affirmation de soi, la libération à l’égard du carcan des contraintes éducatives, sociales, ou familiales. Le Rock peut ainsi signifier « délassement », « exutoire ». Le sentiment d’appartenir à un groupe et d’être bien en prise avec son temps est un attrait indéniable que l’on retrouve exprimé à travers diverses formulations comme « musique de notre époque », « on est ensemble »

Les jeunes désirant marquer une rupture par rapport à leur environnement social vont d’abord décaler leurs apparences vestimentaires. Ce refus de la mode dominante précipite l’individu dans une mode codifiée et repérable comme « anti ». L’ensemble vestimentaire est inséré dans un contexte social et révèle la position de l’individu par rapport au groupe en question. Insertion, opposition, décalage, mépris ou rejet peuvent s’exprimer par le vêtement.

(c) Charles Hewitt – La ligne vestimentaire emprunte largement à la période Edwardienne (Edward VII, roi du Royaume-Uni de janvier 1901 à mai 1910). Longue veste avec des colliers de velours, pantalons cigarettes, soquettes de couleurs et fines cravates Jim.

A travers une dynamique d’opposition, les Teddy Boys expriment à l’opinion publique leur désir d’être reconnus et admis à travers leurs différences. Porter les mêmes vêtements permet la reconnaissance de la bande et montre aux gens extérieurs au groupe « qui je suis ».

Le port de vêtements spécifiques apporte donc une rupture, un démarquage, une recherche d’identité et ainsi une certaine forme d’adhésion à la consommation. Mais ces jeunes sont en contradiction avec l’opinion publique : ils véhiculent une mauvaise image. « Répondant à une question écrite d’un député U.N.R. (l’Union pour la Nouvelle République) le ministre de l’intérieur indique qu »il ne juge pas nécessaire d’interdire le Rock’n’Roll », Juillet 1961 (2). Gordon Vaugham, costumier : « juste parce qu’un type est habillé différemment ne signifie pas qu’il est un paria, […] le costume moyen du Teddy Boy est mon meilleur costume : il est toujours propre, nette et soigné » (3).

Les années 50 voient un retour du nihilisme et d’un romantisme dans lesquels l’adolescent fuit et retrouve à la fois la réalité de la vie.

« Dans l’adolescence, la ‘personnalité’ sociale n’est pas encore cristallisée : les rôles ne sont pas encore durcis en masques sur les visages, l’adolescent est à la recherche de lui-même et à la recherche de la condition d’adulte, d’où une première et fondamentale contradiction entre la recherche de l’authenticité et la recherche de l’intégration dans la société » (4).

« L’identification des individus à un groupe d’âge existe dans presque toutes les sociétés, elle permet le plus souvent de résoudre des problèmes individuels de définition de soi. Plus rarement, sous l’influence de profondes mutations sociales, cette prise de conscience peut prendre une dimension historique et conduire au concept de génération » (5).

L’Occident voit au cours du 20ème siècle la constitution d’une classe d’âge adolescente : les ados s’affirment à travers leur propre morale, leur mode vestimentaire, leurs héros… Le Rock’n’Roll fait partie de cette culture adolescente, c’est une musique jouée par les jeunes et pour eux et qui surtout, s’oppose radicalement aux goûts des adultes.

Edgar Morin : « les vêtements [de James Dean, mais cela peut être applicable pour les Teddy Boys] sont autant de signes ostensibles d’une résistance à l’égard des conventions sociales du monde des adultes, d’une recherche de signes vestimentaires de la visibilité et de fantaisie. James Dean [le mouvement des Teddy Boys] n’a rien innové, il a canonisé et systématisé un ensemble de règles vestimentaires qui permet à une classe d’âge de s’affirmer » (6).

1955 (c) Juliette Lasserre

« En fournissant un espace social pour l’expérimentation et la différenciation par rapport à une société jugée trop conformiste, les sub-cultures devaient devenir le moteur de la consommation » (7). Les sub-cultures sont des cultures communes a des groupements d’individus qui se manifestent par un comportement, un code vestimentaire, des choix esthétiques en opposition avec les valeurs reconnues par la société. Les sub-cultures sont la composante active de la contre-culture. Lorsqu’elles s’associent au Rock, comme les Teddy Boys, elles vont assurer la dynamique de la société de consommation en constituant des groupes « d’expérimentation », conducteurs d’opinion, nécessaires au renouvellement des modes.

Les jeunes au sein d’une bande n’ont pas la même implication : souvent, on se limite à porter l’uniforme ou à se réunir. L’adhésion est donc graduelle. L’appartenance à un mouvement sous-entend un engagement minimum à des principes. « L’homogénéité est la caractéristique essentielle des groupes de jeunes : elle porte davantage, semble-t-il, sur la catégorie scolaire et professionnelle des jeunes eux-mêmes que sur la catégorie socioprofessionnelle ou le milieu social des familles correspondantes » (8).

« La bande n’est pas à proprement parler un groupe fonctionnel, c’est un groupe multifonctionnel auquel il est impossible de reconnaître une activité dominante. Sa fonction essentielle s’il y en a une, n’est pas le loisir, les activités récréatives n’étant souvent qu’un prétexte ou une occasion, d’être ensemble » (9). Les jeunes se créent le sentiment d’appartenance à une communauté en laquelle la présence de chacun est importante. On s’attend, se retrouve, s’accueille.

Cette petite analyse a été appliquée au mouvement Rock, mais regardons les rappeurs, les « tecktonik men » et autres, de grandes similitudes existent !

13 juillet 1955 à Londres

1. Paloczi-Horvatch G., Le Soulèvement Mondial de la Jeunesse, Robert Laffont, 1971
2. Copfermann E., La génération des blousons noirs, Paris, Maspéro, 1962
3. Rushgrove B.A., Fashionable Foolish or Vicious, Be-Bop-Books, 2003
4. Morin E., L’esprit du temps, Armand Colin, 1962
5. Mannheim K., Diagnostic of our Time, Londres, W.J.H. Sprott, 1962
6. Morin E., Les stars, Paris, Seuil, 1972
7. Buxton D., Le Rock, star-système et société de consommation, Grenoble, La Pensée sauvage, 1985
8. Jenny J., Les bandes spontanées d’adolescents, Belles vacances, n°10, 1959
9. Copfermann E., La génération des blousons noirs, Paris, Maspéro, 1962

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