Après la publication de l’ouvrage « Le Général m’a dit », Jean d’Escrienne, dernier aide de camp du Général de Gaulle, reçut beaucoup de critiques positives… et d’encouragements pour l’écriture d’un second opus, relatant « l’avant » et « l’après » de sa rencontre avec le Général de Gaulle. La plume de Jean d’Escrienne nous offre un récit palpitant dont certains passages soulèvent l’intérêt, j’en ai sélectionné quelques-uns.
Le livre étant épuisé, vous pourrez vous le procurer facilement sur Priceminister, la Fnac, eBay… ou chez votre librairie d’occasion du coin mais il faudrait avoir un coup de pot phénoménal !
Jean d’Escrienne : « En ce mois de juin 1940, dans cette France humiliée, bouleversée, déchirée, écrasée, à l’heure où tout ce que je croyais solide avait été balayé, où les valeurs s’écroulaient, où ce qu’on m’avait appris à respecter, à considérer comme l’élite de la nation fuyait ou se terrait, courbait l’échine, battait sa coulpe, implorait l’ennemi, en attendant de chanter ses louanges, le pauvre adolescent que j’étais s’était senti comme un naufragé perdu dans la tempête, et prêt à être emporté, englouti, dans la tourmente… De Gaulle, à ce moment-là, fut la bouée que me lança le destin. Je la saisis et m’y cramponnai de toutes mes forces. Et pour ne plus la lâcher, pendant trente ans ! » (19)
Jean d’Escrienne : « Il y a un mot d’ordre à retenir, valable pour tous les hommes, dans tous les temps et toutes les circonstances de la vie : ne pas subir, c’est-à-dire ne pas avaler les dégoûts, et conserver les espérances. » (38)
Jean d’Escrienne : « Ah, voyageur qui chemines des collines de la Champagne aux Marches de la Lorraine et qui t’arrêtes au passage à Colombey ; pèlerin, qui es venu te souvenir et prier ; toi, vieux Français Libre, qui essuies furtivement une larme ; et toi, Français libéré (qui n’as pas attendu ta libération les bras croisés !) allez dire à tous ceux qui ne vous ont pas suivis hier dans votre épopée, à ceux qui ne vous ont pas suivis aujourd’hui dans votre pèlerinage, à tous qui ne vous ont jamais compris parce que vous étiez trop désintéressés et trop purs pour eux, allez leur dire que toute leur vie ils n’ont réussi qu’à durer. Que c’est vous qui avez vécu, parce que c’est vous qui avez possédé les vraies richesses de la vie, parce que c’est vous qui avez été les ‘passionnés’, et que vos sentiments et vos souvenirs sont des trésors que personne ne pourra jamais vous ravir. » (41)
« Souvenez-vous que les grandes causes, les vraies causes, dignes des vrais Hommes, sont toujours des causes difficiles qui exigent effort et volonté. Mais, en retour, elles suscitent, seules, les véritables enthousiasmes. » (42)
Jean d’Escrienne : « Car nous sommes seuls, seuls, abandonnés au gré des vagues et des vents, sans voiles, sur un fragile esquif, au milieu d’un océan menaçant, sous un ciel chargé de nuages, au bord de l’abîme, du gouffre, du néant ! » (54)
Georges Pompidou
Jean d’Escrienne : « A titre purement personnel, je n’avais guère eu qu’une une seule fois l’occasion de déplorer le comportement de Georges Pompidou. C’était à l’occasion des événements de mai 1968 […]. J’en profitai donc pour faire cette mise au point :
– Pour ce qui me concerne […] j’étais seul avec vous, dans votre bureau, ce 29 mai, en début de matinée. C’est moi qui ai appelé Georges Pompidou au téléphone et vous l’ai passé. Vous lui avez déclaré que vous aviez besoin de sommeil et de prendre du recul, et que vous partiez pour Colombey. C’était assez dramatique. En terminant vous lui avez dit : ‘Je vous embrasse’. Comme vous utilisiez la ligne interministérielle, nous étions trois à être au courant : vous-même, Georges Pompidou et moi. Or, à peine ces événements étaient-ils passés que la presse et la radio rapportaient cet entretien téléphonique, et, en particulier la phrase. « Je vous embrasse ». Cela m’a mis dans une situation gênante vis-à-vis de vous. Je savais bien que l’’indiscrétion’ ne venait ni de vous, ni de moi… mais vous, qu’en pouviez-vous penser ?
– J’ai tout de suite pensé […] que c’était Georges Pompidou qui avait raconté la chose à un journaliste… c’était dans son tempérament ! De toute façon, étant donné ce qu’était la situation, au moment de mon départ, il n’y avait pas le choix et Georges Pompidou était évidemment le seul candidat pensable… […] Il est bien certain que, si je l’avais voulu, je n’aurais eu qu’un mot à dire pour que Georges Pompidou ne soit pas élu Président de la République! Il va de soi que cela eût été faire la ‘politique du pire’, je ne l’ai donc pas fait. » (133-134)
Un dialogue virtuel très original…
« – A la fin de ce second volume […] je pense écrire un chapitre dans lequel je me mettrai en scène aux côtés de quelques grands personnages de l’histoire de France, de Clovis à Napoléon, en passant par Saint Louis, Louis XI, Jeanne d’Arc, Richelieu, Louis XIV, Danton, etc… A chacun, je dirai : ‘Vous, à telle époque, en telle circonstance, vous avez fait telle chose pour la France, vous avez eu telle réaction plutôt que telle autre. Moi, en mon temps, j’ai fait cela en cette circonstance, j’ai résolu ce problème de cette façon : Qu’en pensez-vous ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?…’ Ainsi, j’aurai avec chacun une série d’échanges de vues qui devrait, il me semble, éclairer le lecteur de façon vivante et précise. Aussi bien au point de vue littéraire qu’en raison des possibilités d’explication que doivent me donner ces pages, j’avoue que je me réjouis à l’avance d’écrire ce chapitre, ces « dialogues » !
– Je trouve, moi aussi, mon Général, cette idée séduisante […]. Il y a en effet, là, un moyen original, attrayant, d’expliquer à ceux qui vous liront, ce que vous avez fait, comment et pourquoi vous l’avez et de répondre, à cette occasion, aux critiques objections qui ont pu vous être faites… Mais je pense […] qu’il n’est pas indispensable, pour écrire ce passage, d’attendre que vous en soyez arrivé dans votre rédaction à la fin de votre second tome. Vous pouvez fort bien l’écrire maintenant, pour l’insérer, ensuite, où cela vous paraîtra le mieux trouver sa place, dans votre livre.
– Non, voyez-vous, cette composition, cette rédaction de mon second tome va être pour moi un très gros travail que je veux accomplir de mon mieux. Mais je vais peiner… Vous savez bien tout le travail que représente pour moi toute rédaction… Alors, ce chapitre, dans lequel j’échangerai idées et arguments avec les grands personnages du passé, ce chapitre que je me réjouis à l’avance d’écrire, ce sera le ‘dessert’, ce sera ‘ma récompense’ !… et puis, chaque chose en son temps […] !
… écrit par Jean d’Escrienne
« En vérité, comme on le sait, ce chapitre ne fut jamais écrit. On ne peut que le regretter. Et on ne peut que rêver en imaginant un dialogue entre Louis XI et de Gaulle, avec la grande ombre de Charles le Téméraire, un dialogue tendu et dur entre Richelieu et de Gaulle, leurs considérations sur l’opposition inconditionnelle des notables de toujours… les propos échangés avec Louis XIV, avec Napoléon sur l’Etat ou la grandeur. Je pense plus volontiers et même avec une certaine tendresse à ce qu’auraient pu se dire le Général et Jeanne d’Arc :
– J’ai fait de mon mieux, et tout ce qu’il fallait faire lorsque la France était envahie pour bouter l’ennemi hors du territoire…
– Oui, et, pour cela, vous avez cru devoir rester allié aux Britanniques que j’ai tant combattus et qui m’ont livrée à mes bourreaux…
– Et comment aurais-je fait autrement ? L’Angleterre était, en Europe, le dernier bastion de la liberté, le dernier môle auquel je pouvais me raccrocher; mais reconnaissez que je n’ai pas fait de cadeau aux Anglais, que je ne leur ai rien livré et que, si j’ai bien voulu me comporter avec eux en allié, je n’ai pas été un seul instant leur “sujet ». Comme vous-même, et parce qu’il n’y avait plus rien, j’ai été la France et ne me suis pas courbé. Si je l’avais fait, j’étais trop faible et n’aurais jamais pu me relever. J’ai tenu tête aux Anglais après Mers-El-Kébir, j’ai menacé de rompre avec Churchill qui savait que je ne plaisantais pas, au moment où les Anglais, notamment, ont voulu profiter de la situation pour nous évincer de Madagascar, durant l’été 1942… tout comme j’ai tenu tête à Roosevelt, ce protestant idéaliste et méfiant, qui ne voyait pas autre chose en moi qu’un allié des communistes! Qu’avez-vous à me reprocher ? N’ai-je pas, comme vous, sauvegardé notre indépendance nationale envers et contre tout et, comme vous, réussi à libérer la Patrie de l’envahisseur ? Ne me reprochez tout de même pas de ne pas avoir fini sur un bûcher, une fois ma mission accomplie !…
– Il est vrai que vous avez œuvré avec foi, vaillance, courage et ténacité et que vous avez au mieux, dans le temps et les circonstances, accompli la Noble Mission que Messire Dieu vous avait confiée pour rendre la Paix et la Liberté au Pays de France. Ne vous emportez et ne vous méprenez point. Non, je ne vous reprocherai pas d’avoir combattu aux côtés des Anglais, car c’était, en effet, la seule solution raisonnable puisqu’il fallait battre un ennemi qui était aussi le leur ; mes propos tout à l’heure n’étaient qu’une boutade ! Vous aurez votre place au royaume de la Lumière sans fin, auprès des saints du Paradis, avec tous ceux qui ont bien accompli leur tâche sur cette terre ! Je ne vous reprocherai pas, non plus, de n’avoir pas péri sur un bûcher. Cependant, si j’ai subi le martyre de la part de mes propres concitoyens, demeurés pourtant français grâce à moi, ne croyez-vous pas que vous avez aussi été immolé par eux plusieurs fois au long de votre vie ? Ils se sont moqués de vous lorsque vous avez voulu les convaincre de se défendre par certains moyens modernes et appropriés, ils vous ont désavoué et condamné quand vous avez ramassé pour vous battre le tronçon de glaive tombé à terre, ils vous ont trahi quand vous avez voulu les aider à se rénover, ils vous ont abandonné dans la « Traversée du Désert »… et puis désavoué encore lorsqu’ils ont cru n’avoir plus besoin de vous… et puis à nouveau, trahi et abandonné… quitte à le regretter plus tard ! Alors, est-ce que vous ne croyez pas que vous avez eu aussi “votre” bûcher ?
– Tout cela est vrai, mais n’a guère d’importance, et vous le savez bien. L’important, c’est de faire ce qu’on pense devoir faire, au moment où on pense que cela doit être fait. C’est d’accomplir la mission qu’on s’est donnée librement, sans faiblesse et sans défaillance, quelles que soient les circonstances et les oppositions. Ce n’est pas à vous que je l’apprendrai ! C’est ce que nous avons fait l’un et l’autre, de notre mieux, en des temps différents, dans un contexte historique qui n’était évidemment pas le même, mais avec tout notre cœur et sans nous soucier de ce qui pourrait advenir de nos personnes, de nos pauvres vies, car celles-ci, compte tenu de l’enjeu du moment, ne pesaient pas bien lourd dans la balance de l’Histoire ! – Mais vous, avez été et vous êtes une sainte – Vous vous souvenez bien que je vous ai souvent priée et que vous m’avez aidé. Aux heures des grandes épreuves que j’ai connues, dans les difficultés, les doutes parfois et le découragement, votre pensée, votre exemple m’ont inspiré et m’ont permis de balayer les obstacles et de poursuivre ma route. Soyez-en remerciée !
Voilà peut-être certains propos qu’auraient échangés de Gaulle et Jeanne d’Arc, parmi d’autres, bien sûr : … comparaisons, jugements sur leurs époques respectives, leurs contemporains respectifs, vision de chacun Sur l’avenir, le destin de la France : quel passionnant dialogue sous la plume de De Gaulle ! » (137-141)
Pour finir…
Jean d’Escrienne : « Non à toutes formes de facilité, non aux trahisons et aux lâchetés, non aux soumissions, non à tout ce qui nous diminue, nous rabaisse, non à tout ce qui peut contribuer à nous faire renier ce que nous sommes, à nous faire perdre notre âme. » (178)
« Que puis-je faire, quand tant de gens s’en fichent ? Et quand ceux qui ne s’en fichent pas tout à fait pensent avant tout à eux, à leur carrière, à leurs intérêts personnels, à leur compte en banque. Quand il n’y a plus que des gens comme ça, un pays est fichu !… » (205)