Beatles ou Rolling Stones ?

Cette question, toujours posée en 2018 par le magazine Rock & Folk à ses interviewés, revêt les attributs d’une « fake news » avant l’heure !

Cette rivalité entre les deux groupes, parfois érigée comme étendard identitaire par leurs fans respectifs, n’était qu’un leurre à but lucratif agité par les managers des deux formations et… relayé par une presse obnubilée par la vente de ses journaux.

En 1964, l’adolescence en tant que classe d’âge est encore à ses balbutiements, tout comme la construction identitaire s’émancipant d’un environnement conservateur alors en plein bouleversement. En marquant son opposition à une certaine société, tout en offrant une autre vision du monde à ses auditeurs, le Rock revêt un caractère identitaire indéniable, aidé par une presse adolescente et une télévision en plein essor.

Chris Welch, journaliste spécialiste du rock : « Bien sûr que les Stones et les Beatles étaient amis. A l’époque, c’était le Swinging London, la scène musicale existait vraiment. C’était une sorte de confrérie qui fréquentait les mêmes milieux, les mêmes clubs et, au sein de ce réseau social, ils se rencontraient, discutaient de leurs projets, échangeaient sur leur musique. » Les deux groupes se connaissaient depuis avril 1963, lorsque les Beatles étaient allés voir les « Pierres qui roulent », alors inconnues, lors d’un concert à Richmond.

Malheureusement, le mythe d’une pseudo rivalité, forgeant une légende du Rock anglais erronée, a la vie dure. En témoigne cet extrait d’un article du Figaro de… 2010 !

Saviez-vous que :

• Les Beatles ont suggéré à Dick Rowe, directeur artistique de la firme DECCA, de faire signer les Rolling-Stones. Se mordant toujours les doigts d’avoir raté les Beatles, il n’hésitera pas !

• Les Rolling-Stones doivent aux Beatles leur premier tube : « I Wanna Be Your Man» (1963) composé par le mythique duo Lennon/McCartney.
▶️The Beatles – « I Wanna Be Your Man »
▶️The Rolling Stones – « I Wanna Be Your Man »

• Les groupes se mettaient d’accord pour différer les sorties de leurs albums, évitant toute concurrence. John Lennon à propos de la sortie de l’opus des Stones « Their Satanic Majesties Request » (1967) : « Les Stones font tout six mois après nous » (« Sgt. Pepper » était sorti en juin). Pique amicale et non déclaration de guerre ! Analysons les jaquettes de ces deux albums respectifs :


• 12 février 1967 : Mick Jagger et Keith Richards sont arrêtés pour détention de stupéfiants : scandale retentissant, la prison semble proche. Les Beatles, protégés par une image « propre » les inviteront à chanter sur « All You Need Is Love » dans l’émission télévisée « Our World » : 350 millions de téléspectateurs à travers le monde ! L’histoire ne dit pas si cela a joué en faveur de la fin de leurs ennuis judiciaires, mais la preuve d’amitié demeurait bel et bien là. Les Rolling Stones inviteront d’ailleurs John Lennon & Paul McCartney sur les chœurs de « We Love You » peu de temps après.

Se différencier pour exister ? Tel aurait pu être le leitmotiv de deux managers : Brian Epstein (Beatles) et Andrew Loog Oldham (auparavant l’attaché de presse des Beatles avant de s’occuper des Rolling-Stones). Le camp du bien fera désormais face à celui du mal. Tout est bon pour qu’un fait banal devienne le prochain scandale, boostant à la fois les rotatives d’une presse plus soucieuse de vendre que d’informer ses lecteurs et… les ventes d’albums !

• Brian Epstein « gomme » les origines populaires des Beatles : sur scène les cigarettes sont bannies, les cheveux coupés et les costumes cravates de rigueur. Le look des Rolling Stones à leur tout début en somme ! Alors que les Beatles renvoient une image rassurante à une société en plein bouleversement, les Rolling Stones, représentants de milieux plus aisés, affichent une décontraction qui fait parler d’elle : cheveux sales et décoiffés, refus de sourire sur les photos, attitude de défi et d’insoumission… contrastant avec les 4 garçons de Liverpool.

• Andrew Loog Oldham, manager des Rolling Stones soufflera à la revue « Melody Maker » le titre : « laisseriez-vous votre sœur sortir avec un Rolling Stone ? ». L’Express le reprendra en le modifiant pour : « laisseriez-vous votre fille épouser un Rolling Stone » contrecarrant cette image de gendre idéal incarnée par les Beatles. Il suggère au public de ses poulains d’arracher les sièges lors des concerts : créer du scandale pour faire gonfler la popularité ! Booba et Kaaris n’ont rien inventé (surtout pas de la musique ! 👿). Médias et artistes se renforcent mutuellement.

• Mars 1965, près de Londres, les Rolling-Stones s’arrêtent dans une station-service où le pompiste refuse d’ouvrir l’accès aux toilettes. Le groupe urine alors contre son mur… Une plainte est déposée et les Stones passent pour la première fois au tribunal. Cette histoire va faire le tour des cours de récréation et démarquera un peu plus les deux groupes.

• Tel un chien fidèle qui suit son maître, le scandale deviendra l’apanage des Stones, principalement des histoires de drogue conduisant à des arrestations à répétition. Lors du festival d’Altamont, Mick Jagger décide de faire appel aux Hells Angels (motards considérés comme faisant partie du crime organisé) pour assurer la sécurité. Bilan : un spectateur noir meurt, poignardé. Cela marque la fin de l’euphorie hippie.

Là où les Beatles ont permis une certaine émancipation et à la jeunesse d’exister, les Stones iront plus loin en instaurant un conflit générationnel. Tariq Ali, figure du mai 68 anglais : « en 1968, le groupe le plus radical, le plus revendicatif, c’était les Rolling Stones, pas les Beatles ! Prenons par exemple la violence de la guerre du Vietnam reflétée dans les chansons des Stones. » Cette opposition entre les deux groupes ne tient donc pas, déjà parce que fabriquée de toute pièce, donc artificielle, puis parce que musicalement les deux groupes ont apporté chacun leur style à cette grande famille du Rock.

Mick Jagger : « pourquoi devrait-on se comparer aux Beatles ? On a rien à voir, si vous préférez l’un ou l’autre, ce n’est pas à nous de le dire… »

En fin de compte, tout cela… ce n’est que du Rock’n’Roll !

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